18/04/2012
Le poème du jour
Jacques Chessex
En ce temps-là j'allais par ces boisMultipliant mon émoi dans mon coeurLe vent de mai chauffait l'airL'aubépine brûlait blanche vers la lumière de l'oréeEt déjà je savais quel accordLiait la fleur neigeuse et le secret de l'ombre où je marchaisAvec mon propre secret et cette fleurSi mal contenue dans mon seul crâne Ainsi j'allais à mon habitudeQuand la beauté trembleavec sa musique d'os et de clarinetteDans la buée heureuse des arbresEt le rossignol peut louer ma résolution Et moierrer par les arbres noirset ne craignant nulle rencontreCar la simplicité du coeur est une forteresseLa beauté une armureAssis au caveau des branchesle Cerf m'approuvaitSon sourire rayonnait comme un astreAu hallier nocturne en plein jour. Que craindre du rusé et du chasseurCar la limpidité de l'âme est visibleA travers l'os et la peau des pursEt leur candeur effraie le fourbe En ce temps-là j'allais innocemment par la nuit courbeJ'étais une fontaine où je buvais à ma propre sourceUne coulée d'air où je suspendais ma boucheAinsi boirait ma lèvre à la rivière de ta boucheMon âme se fortifierait à la clarté de la seule Eau. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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11/04/2012
Le poème de la semaine
Marceline Desbordes-Valmore
merci à Christiane H
J'ai voulu, ce matin, te rapporter des roses,Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closesQue les noeuds trop serrés n'ont pu les contenir. Les noeuds ont éclaté, les roses envoléesDans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir. La vague en a paru rouge et comme enflammée,Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée...Respires-en sur moi l'odorant souvenir.Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
02:49 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
04/04/2012
Le poème de la semaine
Andrée Chedid
Nul n'a vécu le fond d'une rose L'espace d'un océanOu le lieu de son corps Nul n'entrevoit l'écart entre la pulpe et l'écorceNe démêle l'écheveau de l'ombre et de la fleur Les nuits martèlent nos clairièresLe jour abreuve nos ravinsNul chemin n'est plus inverse que le nôtreMais nul plus souverain Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
28/03/2012
Le poème de la semaine
Jean Grosjean
Nous reposons à ton ombremalgré l'éclat du jour qui torréfie les champs.Nous échappons par tes nuits étoiléesaux dimensions de notre internement. Tu peux guider ou dérouter nos songes,on ne t'entend pas plus qu'un vol d'effraie.Si nous effraie que la nuit se prolongec'est toi qui viens ouvrir les volets. Beauté des vitres que ton souffle embue,charme des premiers pas dans le jardin. Tu poses doucement sur le talusun vieux brouillard comme un chapeau d'emprunt. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
01:14 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
21/03/2012
Le poème de la semaine
Edmond Jabès
Je ne cesserai pasde chanter les cloches des rencontres muettes,les bras des divans parfumés,les grandes chutes d'oiseaux ressemblants,les éternels miroirs vibrants. Je ne cesserai pasde chanter la morsure rouge des lèvres,l'épaule insoumise, les aisselles surprises,les seins toujours à l'heureaux rendez-vous nocturnes. Je ne cesserai pasde chanter ton visage poudré de cendre,le dernier naufrageà l'aube soufflée des lampes,ta nuque échappée à l'étreinte,tes pas que rien ne trahit. Je ne cesserai pasde chanter tes hanches profondes,tes chevilles noyées dans les nuages,tant de pensées vagabondes,tant de fumée divine. Je ne cesserai pasde chanter ta chevelure couranteaux pieds des arbres solitairesblessés de feuilles et d'oeillères. Je ne cesserai pasde chanter la rue, le parc, la mer, car je te connais,car je t'aime et te connais. Je ne cesserai pasd'apprendre à rire,à peindre et riredans le fond des palais;car je te crains,car je t'aime et te crains. Je ne cesserai pasde forger des serrures,des cadenas et des ceinturestout au long du ciel,car je te garde,car je t'aime et te garde. Je ne cesserai pasde couper tes mains, tes bras et tes poingspour que jamais l'adieune remonte sur l'eau. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
18/03/2012
Morceaux choisis - Jean-Pierre Siméon
Jean-Pierre Siméon
La joie n'appartient à personneles chemins la respirentet les nuits et leurs aubes si procheset nos épaules tout habillées de ventest-ce elleallonsqui se retire quand l'heure soudainest un jardin qui se figen'est-ce pas nousplutôt rugueux et impénétrablesqui nous absentonsnous qui prononçâmes dans un rire imprudentle mot de tropnonnotre joie n'est pas nôtrepourquoi sinon durerait-elle en les autresquand nous-mêmes à nous-mêmesnous mouronsnous l'avons bien embrassée et tant de foisla chose heureusenous l'avons crue à nous bien sûrcomme on croit sien un printempsquand on sent monter en soiune eau rebelle et bienfaisante
mais c'est croire celaque la source n'existeque pour nos lèvres ortout existe hors de nousla joie aussi donc et son corps de rivièreallez si vous voulez enfantscueillir la truite dans l'eau claireet puis regardez-la mourirdans vos mains nueslangage perdulangage à jamais perduqui nous donnait le monde
allons c'est dit amismarchons droit dans les chemins chantantset respirons le chantet respirons l'arbre et l'oiseau et la terredonnons-nous vertigineuxaux strophes de la lumière buepar les branchesayons le coeur bien tendrele pas ivre et la pensée errantepromeneurs naïfsdans la vie innombrablemarchons silencieux
et la joie doit venirelle viendra bonne fille implacablementoh laissons-la venircompagne jaillissant d'un buisson inconnuet donnons-lui nos mains sans mot diresans rien croirespérant seulement que notre visageen elle se reposeet qu'un instantpar quel amour sans nomnous ne vivions que d'être
nous aurons ce jour-làles yeux lavés de tout désirde tout regretnous irons dans la beauté d'un matinle long d'une rivièreentre douleur et douleurle coeur battule coeur recommençantet nous la saurons alors la joie libreet sans attentecomme un dernier souffle fraispeut-êtreau revers de la nuit.
Jean-Pierre Siméon, Traité des sentiments contraires (Cheyne, 2011)
image: Marc Chagall, La maison des splendeurs
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14/03/2012
Le poème de la semaine
Abdellatif Laâbi
Les dés sont jetés Malgré toutes tes contorsionstu n'as pas de prise sur la mortAlors écris la vie!ton calame d'encre et de sangton royaume sans sujets ni maîtreta patrie sans terreta seule croyance hors religiontes yeux et ta langueta richesse et ton dénuementta face éclairée et ton ombreta génitrice et ta progénitureta perdition et ton salutta croix d'infamie et ton diadèmeton lupanar et ton templeton désert et ton oasista science et ton ignoranceta boussole et ton dédaleton jeu de marelle et ta cité idéaleta règle et ton exceptionta peau de chagrin et ton éternitéta blessure et ta drogue Ecris la vie ainsi nomméequalifiéeet reconnueQuelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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07/03/2012
Le poème de la semaine
Louis Aragon
Toutes les chambres de ma vieM'auront étranglé de leurs mursIci les murmures s'étouffent Les cris se cassent Celles où j'ai vécu seulA grands pas videsCelles Qui gardaient leurs spectres anciensLes chambres d'indifférence Les chambres de la fièvre et celle queJ'avais installée afin d'y froidement mourirLe plaisir loué Les nuits étrangèresIl y a des chambres plus belles que blessuresIl y a des chambres qui vous paraîtront banalesIl y a des chambres de supplicationsDes chambres de lumière basse desChambres prêtes à tout sauf au bonheurIl y a des chambres à jamais pour moi de mon sangEclabousséesToutes les chambres un jour vientQue l'homme s'y écorche vifQu'il y tombe à genoux qu'il demande pitiéQu'il balbutie et se renverse comme un verreEt subit le supplice épouvantable du tempsDerviche lent le temps est rond qui tournesur lui-mêmeQui regarde d'un oeil circulaireL'écartèlement de son destinEt le petit bruit d'angoisse avant lesHeures les demiesJe ne sais jamais si cela va sonner ma mortToutes les chambres sont chambres de justiceIci je connais ma mesure et le miroirNe me pardonne pasToutes les chambres quand enfin je m'endormisOnt jeté sur moi la punition des rêvesCar je ne sais des deux le pis rêver ou vivre.Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
15:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
29/02/2012
Le poème de la semaine
Nadia Tuéni
En pays de prièresla lumière habite un vitrail.Le matin glisse dans la chapelle,un moine et son ombre jumelle.La vierge dort sous son émail.Le soleil professe et travaille,sur les terres de Mâr Charbel. En pays de prières,la montagne à un double nez;des larmes en formes de peupliers.On cultive entre les rochers,graines et fleurs de chapelets. En pays de prièresla lune quitte son orbite.Un enfant cache dans la bruyère,un Ave plus quatre Pater. Et la nuit ouvre sa portière,s'en échappe une Carmélite,qui serre dans son aumônière,des dragées blanches d'eau bénite.La lune quitte son orbite,pour rejoindre sur la clairièrela robe brune de l'Ermite. En pays de prièresles corps sont bribes d'un même secret.C'est le souffle du Juste,qui rend plus bleu le ciel,au-dessus des vallées. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:24 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Nadia Tuéni, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
22/02/2012
Le poème de la semaine
Catherine Pozzi
Très haut amour, s’il se peut que je meureSans avoir su d’où je vous possédais,En quel soleil était votre demeureEn quel passé votre temps, en quelle heureJe vous aimais, Très haut amour qui passez la mémoire,Feu sans foyer dont j’ai fait tout mon jour,En quel destin vous traciez mon histoire,En quel sommeil se voyait votre gloire,Ô mon séjour… Quand je serai pour moi-même perdueEt divisée à l’abîme infini,Infiniment, quand je serai rompue,Quand le présent dont je suis revêtueAura trahi, Par l’univers en mille corps brisée,De mille instants non rassemblés encor,De cendre aux cieux jusqu’au néant vannée,Vous referez pour une étrange annéeUn seul trésor Vous referez mon nom et mon imageDe mille corps emportés par le jour,Vive unité sans nom et sans visage,Cœur de l’esprit, ô centre du mirage,Très haut amour.Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:30 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |